03/03/2009

Huu Ngoc

Huu Ngoc

Biographie

Eminent intellectuel vietnamien, Huu Ngoc, né en 1918 à Hanoi, est reconnu comme une « travée du pont culturel entre le Vietnam et le monde ». A la fois écrivain, journaliste et traducteur célèbre, doté d’une rare érudition, il est l’auteur d’innombrables articles et d’un grand nombre d’ouvrages sur les cultures française, vietnamienne, suédoise, américaine, laotienne, japonaise...Malgré son âge, il continue à travailler au rayonnement de la diversité culturelle. Selon lui, la culture française fait partie de la chair et du sang des Vietnamiens. Il défend ainsi dans ses écrits les valeurs de l’acculturation et de l’universel. Il a obtenu différentes distinctions : Chevalier de l’Ordre des Palmes Académique en 1992, Mot d’or en 2003, médaille suédoise de l’Etoile du Nord, médaille de l’indépendance, médaille du combattant.....

Extrait

« Il importe de considérer la mondialisation sans passion, sous tous ses aspects, parce que c’est un phénomène incontournable, avec lequel nous devons cohabiter. Il faut l’envisager de manière active et non passive, à la lumière de la Déclaration universelle de l’UNESCO sur la diversité culturelle (novembre 2001). S’il faut lutter contre l’action négative de la mondialisation, il faut savoir profiter de son potentiel de créativité. Grâce au développement technologique foudroyant de l’information, des communications et transports, elle offre aux cultures nationales et ethniques, une audience et un champ d’action d’une ampleur sans précédent. Si la diffusion mondiale d’un produit culturel, matériel ou spirituel, peut entraîner l’uniformisation, il n’en est parfois pas moins vrai qu’elle ajoute à la diversité culturelle d’un pays ou d’une région, surtout quand il s’agit de lieux lointains, hors de la circulation. Le patrimoine humain est ainsi mieux partagé. »


L’identité nationale face à la mondialisation, article qui a été récompensé par « Les Mots d’Or 2003 »

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Viêt Nam
Une identité culturelle défendue au fil des siècles


Le chercheur culturel Huu Ngoc nous rappelle que l'identité culturelle vietnamienne s'est nourrie de nombreuses influences sans jamais perdre son identité.
"Avant de comprendre la culture du Viêt Nam , il faut commencer par le début, c'est-à-dire par comprendre ce que signifie « Viêt Nam ». Le nom de ce pays est composé de 2 mots : Viêt, qui désigne l'ethnie Viêt, et Nam, qui signifie Sud. L'ethnie Viêt représente 86% de la population de ce pays. Le Viêt Nam est donc le pays des Viêt du Sud. De la même façon, Yougoslavie est composée de Yougo qui signifie Sud et de Slavie qui désigne les Slaves, ce qui donne les Slaves du Sud. La question qui se pose est : que sont devenus les Viêt du Nord ? La réponse est : ils ont disparu ! Où plus exactement, ils sont devenus Chinois.
Donc qu'est-ce qu'un Vietnamien ? C'est un homme de l'ethnie Viêt qui ne voulait pas devenir Chinois, qui ne veut pas devenir Chinois, et qui ne voudra jamais devenir Chinois !" C'est ainsi que Huu Ngoc introduit son sujet "L'identité culturelle : quel enseignement tirer du modèle vietnamien ?"

Selon M. Ngoc, une erreur courante consiste à croire que la culture vietnamienne est un appendice de la culture chinoise, de même que le Viêt Nam serait un appendice de la Chine. Mais en y regardant de plus près, on s'aperçoit qu'il y a là, 2 cultures distinctes. Par exemple, la culture vietnamienne ancestrale possède un élément en commun avec le Sud de la Chine, le Laos, le Cambodge, la Thaïlande, la Malaisie, l'Indonésie, etc., c'est-à-dire avec tous les pays subtropicaux d'Asie du Sud-Est, mais pas avec la Chine ancienne du Nord : c'est le tambour en bronze. "Dans ces régions, la culture du riz en terrain submergé nécessitait beaucoup d'eau et lorsque la pluie ne venait pas, les paysans se servaient de tambours en bronze pour invoquer la clémence du Seigneur de la pluie. La culture traditionnelle chinoise se fonde sur une agriculture de terrain sec, ce qui a impliqué de nombreuses autres différences par la suite. D'ailleurs on dit que la Chine s'est développée autour du fleuve Jaune et le Viêt Nam autour du fleuve Rouge", raconte Huu Ngoc.
Le chercheur culturel illustre le développement de la culture vietnamienne par un arbre dont le tronc serait la culture ancestrale et les 4 branches, les grandes périodes d'influences extérieures. La première pierre de la culture vietnamienne (le tronc), remonte à plus de 1.000 ans av. J.-C. On peut observer encore aujourd'hui des spécificités vietnamiennes qui se sont perpétrées dans les campagnes. Par exemple, comme la culture du riz nécessite 2 fois plus de place que d'autres types de culture (car le riz est repiqué), l'élevage n'a pas été très développé, ce qui se traduit par une alimentation contenant moins de viande que chez les Occidentaux. En Europe où l'on cultive le blé et où les terrains plats sont nombreux, les animaux sont traditionnellement élevés dans des pâturages. Autre spécificité ancestrale du Viêt Nam , ce sont toujours les femmes qui plantent le riz, car elles sont censées lui transmettre leur fécondité… Huu Ngoc ajoute que "les femmes vietnamiennes portaient des jupes, contrairement aux Chinoises qui portaient des pantalons. Pendant les 12 siècles de présence chinoise, les Vietnamiennes devaient porter des pantalons pour paraître civilisées, mais la résistance culturelle a fait qu'elles n'avaient cessé de porter des jupes. Ce n'est que dans les années 20, pendant la colonisation française, que les femmes vietnamiennes se sont mises à porter des pantalons. Mais aujourd'hui, avec la mode, les jeunes femmes mettent à nouveau des jupes !". "Ce qui est resté de la culture ancestrale vietnamienne, ce sont aussi les cent feuilles de bétel que la famille du futur marié offre à la famille de sa promise…".
Rôle important de la langue vietnamienne
Selon Huu Ngoc, la langue joue également un rôle très important dans la constitution de l'identité vietnamienne : "Certes, de 60% à 70% de mots de notre langue proviennent du chinois, mais si nous perdions les 30% de mots vietnamiens qu'il nous reste, nous perdrions l'unicité de notre identité culturelle, et notre culture serait absorbée par la culture chinoise. Il est arrivé que Hô Chi Minh trouve des expressions vietnamiennes composées de plusieurs mots d'origine chinoise et de changer ces mots par d'autres vietnamiens pour favoriser la pureté et l'originalité de la langue vietnamienne. C'est un peu ce qu'il se passait en France au 16e siècle lorsque la langue française commençait à se développer." Une langue ancestrale qui a permis de conserver les mythes fondateurs du Viêt Nam . Des croyances ont ainsi traversé les âges et perdurent encore aujourd'hui : l'animisme, le culte de la fécondité, de la mort, des ancêtres, la croyance aux génies, etc. Contrairement à celles de la Chine, les divinités vietnamiennes étaient en majorité féminines. Avant l'arrivée des Chinois au 2e siècle av. J.-C., le rôle de la femme était prépondérant au Viêt Nam . La société était à moitié matriarcale (sous l'autorité de la mère).
Sur ce tronc culturel originel sont venues du monde entier des influences que l'on peut classer en 4 ensembles principaux : l'influence chinoise, la colonisation française, les 30 années de révolutions et de guerres et le Dôi Moi (Renouveau). Huu Ngoc explique : "La Chine a conquis le Vietnam au 2e siècle av. J.-C. et elle l'a occupé jusqu'au 10e siècle apr. J.-C.. Les Viêt du Nord sont devenus Chinois en l'espace de 12 siècles mais la culture des Viêt du Sud a résisté. Au 18e siècle, les Vietnamiens ont créé leur propre écriture à partir de la langue chinoise et de leurs dialectes ancestraux. L'influence chinoise a cependant perduré jusqu'en 1945, et elle existe encore de nos jours." L'apport culturel de la présence française concerne essentiellement les sciences, notamment les sciences appliquées (électricité, locomotives, etc.). Mais les Français ont également introduit la notion de l'individu et du "moi" dans la philosophie vietnamienne. Le pronom personnel vietnamien tôi correspondant au "je" français n'existe que depuis les années 20. Cette notion d'individu était très différente des préceptes confucianistes hérités de la présence chinoise, mais elle a permis à la littérature et à la poésie de se développer avec l'expression des sentiments intimes et des pensées personnelles…
Selon Huu Ngoc, les 30 années de révolutions et de guerre ont aussi influencé la culture vietnamienne : "C'est l'arrivée du marxisme qui était pour Hô Chi Minh un moyen de réaliser l'indépendance de son pays. Cette volonté d'indépendance lui a d'ailleurs valu la méfiance de Staline et de Mao, mais cela ne l'a pas empêché de réussir à unifier le Viêt Nam sans détruire l'identité culturelle de son peuple." La période du renouveau a également apporté son lot d'influences extérieures à la culture vietnamienne. "C'est l'apparition du secteur privé, de la notion de concurrence… Le Viêt Nam s'est développé dans le sillage de la mondialisation et pour mener à bien ce développement des règles ont été posées : nous devons bâtir un pays assez riche, pour ne pas revivre, par exemple, la famine de 1945 ; un pays assez fort pour se défendre ; un pays équitable, avec ni trop de riches ni trop de pauvres ; un pays qui respecte l'individu, et surtout, un pays qui défend son identité culturelle, comme il l'a toujours fait au fil des siècles." Lorsque 2 cultures se rencontrent, une culture dont l'identité est faible peut être entièrement assimilée et remplacée par l'autre. Mais lorsque les identités culturelles sont fortes, il y a un phénomène d'acculturation, c'est-à-dire que les cultures prennent chacune à l'autre ce qui leur semble bon et rejettent ce qui ne leur conviennent pas. M Ngoc conclut son propos en disant que c'est de cette façon que la culture vietnamienne a évolué sans jamais perdre ses racines, elle a puisé à l'extérieur ce qui lui semblait bon.


Huu Ngoc - par Grégoire Barrault

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