23/02/2009

Le poète Hàn Mặc Tử

Hàn Mặc Tử

Un malheureux prodige

Hàn Mặc Tử (L’homme de plume et d’encre) était le dernier et le plus connu nom de plume de Nguyễn Trọng Trí qui avait signé auparavant Minh Duệ Thị, Lệ Thanh et Phong Trần.

Né le 22 septembre 1912 au village de Lệ Mỹ, près de Đồng Hới dans la province de Quảng Bình, il fut aussi baptisé du nom catholique de Pierre François. Ayant perdu son père très tôt, il suivit sa mère qui s’installa avec ses cinq frères et sœurs à Quy Nhơn.

Dès l’âge de 15 ans, Nguyễn Trọng Trí se fit connaître comme un excellent auteur régional de poèmes de prosodie classique Tang sous la signature de Minh Duệ Thị. Mais craignant une ‘‘dérive’’ du jeune prodige, sa mère l’envoya au lycée Pellerin tenu par des frères catholiques à Huế.

À 21 ans, il ‘‘monta’’ à Saigon dans l’espoir d’entrer dans le journalisme. Là, il se fit remarquer par le grand lettré nationaliste Phan Bội Châu (1867-1940) qui appréciait ses poèmes, particulièrement celui intitulé Thức khuya (Nuit blanche). Grâce à l’introduction de ce dernier, Nguyễn Trọng Trí devint responsable des pages littéraires de plusieurs célèbres magazines saigonnais sous les signatures de Lệ Thanh, Phong Trần, Hàn Mạc Tử, enfin de Hàn Mặc Tử. Il acquit rapidement une immense réputation, particulièrement auprès de nombreuses lectrices avec lesquelles il engagea une correspondance passionnée.

En 1936, il publia son premier recueil Gái quê (Les jeunes filles de ma campagne), mais à la fin de cette année il vit apparaître les premiers symptômes de la lèpre. Il se retira alors à Quy Nhơn, vivant seul sa terrible maladie dans une cabane au toit de chaume, tout en écrivant des poèmes poignants et en entretenant des correspondances plus que passionnées avec des admiratrices qu’il a ainsi immortalisées dans ses œuvres (Hoàng Cúc, Mai Đình, Thương Thương, Ngọc Sương, Thanh Huy, Mỹ Thiện, etc..). Mais il n’a jamais connu d’amour physique, toutes ses passions n’étaient que platoniques et épistolaires. Il se consolait par ailleurs stoïquement en adressant de fervents poèmes à la Vierge Marie.

En 1938, devant l’aggravation de sa maladie, il se résolut à entrer dans la léproserie de Quy Nhơn, où il mourut dans un état de délabrement physique épouvantable le 11 novembre 1940, à l’âge de 28 ans.

En plus de Gái quê, Hàn Mặc Tử, en ouvrant une nouvelle ère de poésie romantique au Viêt Nam, nous a légué cinq autres recueils de poèmes qu’il a réunis de son vivant mais qui ne furent publiés qu’après sa mort :

Thơ Đường luật (Poèmes de prosodie Tang),
Đau thưong (Souffrances)
Cẩm châu duyên (Un destin de brocart et de perle),
Xuân như ý (Un printemps satisfaisant),
Thượng thanh khí (Une pureté sublime).

Texte recueilli sur le blog "
Des poètes de ma terre lointaine par Dông Phong "
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Quand il est arrivé à la léproserie de Qui Hoa, il disait :

« Je suis arrivé ici. Ici, il y a la mer, la forêt de cocotiers, verte, les grandes montagnes, une île d'un bleu merveilleux ; surtout il y a des gens qui m'aiment et la paix du coeur m'est donnée, la source de joie subtile qui était comme morte en moi, là-bas, à Thôn Tân, dans la souffrance, la misère, la solitude. »

Léproserie de Qui Hoa, octobre 1940 : le poète qui parle ici a 28 ans. Il ne lui reste plus que quelques semaines à vivre. De ses pauvres mains déformées par le mal, il trace à grand-peine, pour les religieuses franciscaines qui jusqu'à la fin font soigné, ce dernier poème en français : "Anges du Ciel, anges de Dieu, anges de Paix et de Gaîté, apportez-moi une couronne. Je veux me baigner dans l'Océan de Lumière et d'Amour divin"

Toute sa courte vie, brisée dès l'âge de 24 ans par la lèpre, il l'a consacrée à la poésie et à une quête pure et ardente, unissant dans un même impossible amour les figures déjà lointaines des jeunes filles et cet au-delà de l'amour humain que, dans ses derniers textes, il nomme l'Harmonie suprême.

Jusqu'au plus profond de la détresse, toujours cependant demeure une douceur, une lumière incompréhensibles, cette joie subtile qui jusqu'au bout le fait vibrer.
« Le jardin de ma poésie est sans rives, écrivait-il. Plus on avance, plus on frissonne. »

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Extrait du Bulletin de la Nouvelle Association des Amis du Vieux Hué – 09/07

Han Mac Tu , Promenade en saison de lune. Traduction d’Hélène Péras.

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Promenade en saison de lune est un poème en prose dont la date est incertaine, et qui parut pour la première fois, en partie, dans un ouvrage critique consacré à l’œuvre de Han Mac Tu, en 1941, avant d’être publié intégralement en 1944. Dans ce récit d’un moment d’émerveillement durant l’enfance, se mêlent légendes vietnamiennes, indiquées en note par Hélène Péras, appréhension bouddhiste de l’univers et imaginaire chrétien. La lune, unité du monde sur lequel elle répand sa lumière, se transforme en Vierge Marie, mais elle se confond aussi avec la sœur du poète, de quelques années plus âgée que lui, qui devient fée par là même.
Au-delà du récit, la vision, ou illumination, est aussi méditation sur l’être grâce à la présence des choses. La première question que se pose le poète résonne comme une promesse : « La lune n’est-elle que lumière ? » Déjà la restriction incluse dans la question appelle à un élargissement. On nous parle aussitôt ensuite d’accroissement, du mystère et du parfum, puis de la dissémination d’une « musique enivrante ». « C’est cela, la pleine lune à la mi-automne : une nuit métaphysique, immense, symbole d’une saison d’espérance, faite de larmes, de séparation, et plus encore révélation d’une sorte de volupté totale. » Le malheur, les déconvenues, n’entament pas l’absolu, ne nuisent pas à la plénitude, même si celle-ci s’éprouve au monde phénoménal dont le reflet de la lune sur l’eau est, dans la tradition bouddhiste, le symbole. Le reflet de la lune sur l’eau demeure insaisissable, éternellement fugace, mais le geste, aussi menu soit-il (« Ma grande sœur et moi, tous deux tenant une petite rame »), garantit l’accès à la merveille. Suivant le cours du temps sur la rivière, introduite elle aussi sous forme d’interrogation : « La rivière ? », frère et sœur créent leur propre bonheur en un univers uni par le reflet, par l’écho : « Tiens, s’il te plaît, dis-moi, la lune se lève-t-elle dans l’eau ou dans le ciel, et nous, naviguons-nous dans le ciel ou sur l’eau ? »
C’est ce jeu de résonances sur l’instable, sur le fluide de l’être, qui constitue la véritable connaissance que la poésie se réserve – connaissance participative, émerveillée : « Oh ! quel bonheur, tous les deux, la sœur et le frère, tour à tour éclatant de rire, mettant en émoi les fluides vitaux des suprêmes énergies. » Nous ne sommes pas loin, ici, de notre thème, abordé dans la perspective de Maine de Biran et de Michel Henry.
Les enfants s’identifient alors, en leur appétit de vie (« insatiables de lumière »), à des êtres légendaires jusqu’à perdre conscience, suprême participation au monde : « … nous ne savons plus si nous sommes et qui nous sommes ». Le contraste avec une scène semblable, entre Tess et son petit frère Abraham, dans le roman de Thomas Hardy, Tess of the d’Urbervilles, montre combien, en cette acceptation de la nature transitoire du monde, le repli tragique de l’être en exil éclate. Tout au contraire, celui-ci, comme la musique au tout début, grâce au vent se dissémine, même si, au cœur du merveilleux, se glisse l’effroi. Cette conscience de l’ambivalence de l’existence n’en mène pas moins à une véritable transfiguration : la lumière oppose au fluide une certitude éternelle, mais on est passé là au merveilleux chrétien, avec cette figure « rayonnante et hiératique comme une statue de la Vierge Marie ». On remarque que là se fige le fugace dans l’immobilité de la statue.
Une autre œuvre me vient à l’esprit. C’est une nouvelle de Katherine Mansfield, qui relate cette même complicité enfantine entre frère et sœur, The Wind Blows / Le vent souffle, dans le transitoire du monde phénoménal, mais le mouvement est inverse. Katherine Mansfield procède de l’unité au dédoublement opéré par le temps au sein de l’être tandis que Han Mac Tu évolue de l’éparpillement vers l’unité :
« Ah ! ah ! ma sœur Lê, tu es la lune mais moi aussi je suis la lune ! » Il s’agit de l’unité que se conquiert l’âme échappant à sa « prison de chair ». Il s’agit aussi d’une unité cosmique : « La lune est partout, tout est éclairé, il semble que tout l’univers qui nous a transportés ici soit submergé par la lune et s’en aille, flottant à l’aventure, vers quelque autre terre. » Ce n’est qu’au paragraphe suivant qu’apparaît la figure de la Vierge Marie, qui donne une inflexion différente au récit. On quitte le monde phénoménal et la réalité de l’être pris dans le mouvement du temps pour une vision transcendante : « Je voudrais ardemment me prosterner, espérant la grâce d’une intercession. »
La lumière, qui s’incarnait dans son reflet mouvant sur l’eau, se saisit désormais dans une figure, qui la fait échapper au transitoire. Il faut dire qu’il s’agit d’une figure composite, née d’une relation : « A nouveau, je nous regarde, elle et moi, et en effet c’est réellement la lune. » La phrase est affirmative. Ni restriction ni question comme au début du récit. Les deux enfants cherchent au contraire à préserver l’unité de l’instant, à ne pas « briser dans l’écume » les « reflets de la lune », à fixer, en quelque sorte, l’illusion du monde phénoménal dans le rayonnement d’une image.
Le récit s’ouvre sur la jouissance, au sein du fugace, de cet univers transitoire symbolisé non seulement par le reflet de la lune dans l’eau, mais aussi par la course du fleuve et le mouvement des enfants – la voie de l’immanence et de l’acte humain, horizontale et soumise à la dialectique de la durée et à son ambivalence –, jusqu’à ce moment où surgit une figure, celle de la Vierge, immobile statue qui, en sa verticalité, saisit cet élan, s’en abstrait (« Soudain ma sœur m’apparaît absolument dégagée ») et induit une interrogation sur l’identité – des individus, non plus du monde dans lequel ils agissent et prennent leur source. La « lumière éternelle » de la fin transcende l’inéluctable écoulement du temps. Au sein du même poème voisinent deux visions de l’existence.
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Citation : L'imagination est plus importante que le savoir.
[Albert Einstein ]

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